Les éléments de langage élyséens et la leçon de communication du MEDEF

Pierre Gattaz, patron des patrons, vient jeter un trouble en Hollandie, royaume adepte de la méthode Coué. Mais avant, revenons sur cette expression : « éléments de langage ».

Une fois n’est pas coutume, je sais de quoi je parle. Les « éléments de langage » recoupent plusieurs réalités, ils sont utilisés aussi bien par les services communication des grandes entreprises, les institutions publiques que par les hommes politiques eux-mêmes. Ils sont, comme leur nom l’indique, des outils destinés au langage. On entend par « langage » aussi bien la parole que l’écrit, tout ce qui forme un discours. Pour faire court, l’être humain dit pas mal de conneries à longueur de journée. Et dans une société ultra-médiatisée comme la nôtre, la simple bourde, maladresse, se retrouve sur les réseaux sociaux, puis dans la presse, et vous êtes foutus. La difficulté pour tout homme ayant un rôle « public », entendu comme au contact d’autres parties prenantes, est de maîtriser ce qu’il dit. Cette maîtrise, contrairement à ce que certains peuvent penser, n’a rien de naturel. Les dirigeants des grandes entreprises, comme les hommes politiques, sont entraînés par des spécialistes de la communication à répondre aux questions des journalistes par les séances de média-training. Mais cet apprentissage ne s’arrête pas à la formulation de réponses courtes et incisives (vous remarquerez pourtant combien nos hommes politiques « noient le poisson » par des réponses affreusement longues), il est complété par la rédaction de messages clés, nos fameux « éléments de langage ».

Sous son air débonnaire se cache un redoutable communicant
Sous son air débonnaire se cache un redoutable communicant

Alors me direz-vous, mais pourquoi ne pas parler simplement ? Les « éléments de langage » permettent aux hommes politiques de « faire passer leur message ». Car il n’est pas toujours évident en quelques secondes, lorsque l’on rencontre une personne dans l’ascenseur, ou sur un plateau de télévision, de faire passer une idée. Il y a dans l’élaboration et la rédaction des « éléments de langage » une bataille d’idées. C’est leur fonction proactive. Sans mentionner leur fonction défensive lors d’une crise. Un directeur général devra par exemple répondre à une question difficile concernant le suicide d’un salarié, le défaut de fabrication d’un produit, un accident dans une usine, etc. Il est de son devoir de « protéger » les intérêts de son entreprise, et pour cela il doit être préparé. C’est d’autant plus important que se cache souvent derrière les formules toutes faites « nous ne commentons pas ceci ou cela » un pendant judiciaire. Soit la personne n’a pas le droit de donner plus de détails, soit il ne le veut pas. Dans tous les cas, il ne veut pas de « procès au cul ».

Gattaz réveillera-t-il la Hollandie ?

Pourquoi cette énorme digression avant d’aborder l’actualité du président du MEDEF, Pierre Gattaz ? Dans l’interview donnée au Figaro (daté du lundi 21 juillet 2014), l’homme paraît faire preuve de peu de prudence et utiliser un « franc-parler ». C’est d’ailleurs le titre « franc-parler » de l’éditorial du Figaro. Le patron du MEDEF réveillera-t-il Hollande ? souligne l’édito. La Une de journal renforce l’effet en mettant en exergue la citation de Monsieur Gattaz : « La situation économique de la France est catastrophique ». CATASTROPHIQUE, voilà un mot qui fait mal. La France serait […] « proche de la mise en liquidation ». « Arrêtons d’emmerder les entreprises ! ». « Non, la croissance n’est pas là ! ». Ses propos paraissent selon l’éditorialiste « sincères » contre un chef de l’Etat qui « préfère jouer les prophètes du bonheur ». Expression très réussie en passant. Il faut comprendre tout d’abord que les formules chocs de Pierre Gattaz sont des « coups de gueule » très travaillés. Grâce à elles, le message est passé : il faut faire plus, aller plus loin qu’une simple baisse des charges des entreprises, pour relancer la croissance, la compétitivité et l’emploi.

Et là, voici la leçon numéro 2 en communication : au-delà du langage, il y a la « posture ». Dans l’Opinion (daté du mercredi 23 juillet 2014), un nouveau quotidien hebdomadaire libéral, le journaliste souligne le mécontentement de François Hollande et ses lunettes roses :

Quel toupet ce Pierre Gattaz. […] Il ne connaît pas, ce petit patron, la force des mots, la puissance des rêves : il ne sait pas que mentir un peu suffirait pour déclencher la reprise des embauches et des investissements. Oui vraiment, le patron du MEDEF a un « problème de langage ».

Pin’s contre président

Belle diatribe contre François Hollande qui joue les incantateurs de la croissance. Si Pierre Gattaz a un « problème de langage », c’est parce qu’il met à mal les « éléments de langage » si bien préparés par notre président et ses conseillers. Le patron des patrons feint un langage « brut », un peu à la Sarkozy, pour mieux se faire entendre. Il prend la posture qu’« on » (les chefs d’entreprise, les libéraux, une certaine droite…) attend de lui en tant que président du MEDEF. Ce qu’il dit au fond a presque assez peu (ou moins) d’importance, ce qui compte c’est la manière. Il se pose en défenseur de l’entreprenariat, du libéralisme, contre un président, qui rappelons-le quand même, étiqueté sous l’appellation « socialiste ». Cette méthode a déjà fonctionné, car la simple menace de sa non-présence à la grande conférence sociale des 7 et 8 juillet lui a donné satisfaction sur le report partiel d’un an du compte de pénibilité. En faisant cela, il se protège également d’un président de la République au plus bas dans les sondages. Pierre Gattaz est « pour » le Pacte de Compétitivité, mais ne veut pas être entraîné dans l’abîme sondagière des socialistes. Faut pas déconner ! En plus, le pauvre bougre porte un pin’s « un million d’emplois » (bah ouais quand même, grosse promesse…). Personne ne lui a dit dans son staff de pubards à Monsieur Gattaz que les pin’s c’est complètement ringard ?

Allez bonnes vacances et à plus !

Mad Men as Mr Men (thepoke.co.uk)
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